vendredi 1 mai 2009

La guerre scolaire.

Le 21 janvier 1879, le gouvernement déposa un projet de loi prévoyant que chaque commune belge devrait posséder au moins une école primaire officielle laïque et neutre dont les instituteurs seraient diplômés des écoles normales officielles et que les provinces et les communes ne pourraient plus subsidier des écoles « libres » (c'est-à-dire catholiques).
L’adoption de la loi déchaîna la colère des catholiques et déclencha une véritable « guerre scolaire » : les évêques firent refuser l'extrême-onction aux instituteurs des écoles officielles et aux parents qui y envoyaient leurs enfants et ordonnèrent à chaque curé d'ouvrir une école « libre » qui connurent, particulièrement dans les campagnes, une fréquentation élevée. En réaction, le gouvernement fit pression sur le pape, obligea les fonctionnaires, sous peine de sanctions, à inscrire leurs enfants dans des écoles officielles menaça les instituteurs des écoles libres qui avaient travaillé auparavant pour l'État de perdre leurs droits à la pension.
Les libéraux reprochant aux écoles catholiques d'employer des enseignants n'ayant aucune formation, le catholique Jules Malou proposa au Parlement d'effectuer une enquête. Le libéral, Xavier NEUJEAN renversa l’idée et voulu en faire une enquête sur les moyens de pression utilisés pour entraver l’exécution de la loi de 1879. Cette enquête fut menée de manière totalement biaisée et à un coût prohibitif et relança de plus belle la polémique qui ne s’éteindra que des années plus tard.

Le 6 septembre 1881, des membres de la Chambre des Représentants et de la commission d’enquête scolaire instituée par elle, et formant la sous-commission pour la province de Luxembourg, procédèrent au local de la Justice de Paix du canton de Vielsalm, en audience publique, à l’audition de témoins.
Chaque témoin, à l’appel de son nom, déclinait ses nom, prénoms, âge, état, profession et demeure ; puis prêtait serment « de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité ; ainsi m’aide Dieu ! ».

(Pour rappel le curé de Rogery était aussi curé de Commanster)

1) MERGET, Emile, 26 ans, instituteur communal, à Commanster, déclara :

« Je suis instituteur communal à Commanster depuis 3 ans.
Avant la loi, j’avais au maximum, en hiver, 42 élèves ; c’est une école mixte.
Cette année, j’en ai 36. Il n’y a pas d’école libre établie dans la section de Commanster.
Le curé ne m’a pas attaqué directement en chaire, mais il a agi dans le confessionnal et dans des conversations particulières, dépeignant mon enseignement comme mauvais et comme nul, et il entendait par là que cet enseignement ne répondait pas aux exigences de la population. Je pourrais citer les personnes auxquelles il a ainsi parlé.
Dans les sermons, la politique a été mêlée indirectement. Il a dit que l’on pourrait établir une école libre dans la localité : car bien des habitants avaient souscrit à la loterie nationale, ajoutant que cette loterie était destinée à soutenir l’enseignement hostile à l’Eglise.
Il a été dit aussi que l’enseignement officiel avait pour but, d’après les grands hommes qui gouvernaient l’Etat, de séculariser l’instruction et de faire des écoles mauvaises.
La section de Commanster est administrée par le desservant de Rogery.
Nous n’avons pas de titulaire, et le curé de Rogery a laissé entendre que c’était par punition, parce que les habitants n’avaient pas apporté leur concours pour l’érection d’une école catholique.
L’année dernière, à la kermesse d’octobre, il a dit qu’il ne ferait pas de messe pour les morts, et cela parce que les habitants envoient leurs enfants à l’école communale.
Lorsque ma belle-mère, l’année dernière, s’est présentée à confesse, le curé a refusé de la confesser, lui déclarant qu’aussi longtemps que je resterais avec ma femme chez mes beaux-parents, avec lesquels j’habite, elle n’avait plus besoin de se présenter.
Notre ancien curé, M. COLLARD, qui était dans la paroisse lors du vote de la loi , m’écrivit une lettre me demandant de donner ma démission d’instituteur et ajoutant que, l’orage passé, je serais réintégré dans mes fonctions ; je ne lui ai pas répondu.
Ce même curé a essayé de fonder une école libre ; mais les habitants n’ont pas voulu le suivre. Il a sonné pendant six semaines pour que les enfants se rendissent à son école ; mais aucun élève ne s’y est rendu. Peu après, il a reçu son changement, et on croit dans la localité que le motif en est qu’il n’a pas réussi dans sa tentative. C’est par punition aussi, dit-on, qu’aucun desservant n’a été nommé pour le remplacer.
À mon école d’adultes, cet hiver, j’ai eu 10 élèves.
Au commencement de cette année, quand il s’est agi de la première communion, quelques élèves ont quitté mon école pour fréquenter l’école libre établie à Rogery.
Ces élèves ont pu faire la première communion dans cette paroisse ; leurs parents m’ont déclaré qu’ils m’avaient retiré leurs enfants uniquement pour qu’ils pussent faire cette cérémonie, diant qu’ils étaient très contents de l’instruction que je donnais à leurs enfants ».

2) DACO, Jean-Henry, 61 ans, instituteur communal, à Rogery, déclara :
« Je suis instituteur communal à Rogery depuis 34 ans. Avant la loi, j’avais 35 à 36 élèves, dont plusieurs enfants de la section de Cierreux, mais, après la loi, on a établi une école communale à Cierreux, et cet hiver, je n’ai plus eu que 17 élèves.
On a essayé d’établir une école libre à Rogery, elle n’a pas duré. Une seconde et une troisième tentative ont été faites, mais elles ont échoué également. Ces écoles ne comptèrent que deux ou trois élèves. Les instituteurs qui ont tenu classe étaient de jeunes gens illettrés, ayant à peine fait quelques études primaires.
Dans le principe, le curé de Rogery ne s’est pas montré aussi violent qu’il l’a été par la suite.
Ce curé, qui se nomme LEDAIN, a été jusqu’à dire en chaire que le père de famille n’avait pas le droit d’enseigner le catéchisme à ses enfants, pas même de leur apprendre les prières.
Il est vrai qu’après il a dit à peu près le contraire, ajoutant que c’était le christianisme qui avait proclamé la liberté de l’enseignement.
Il disait qu’il combattrait l’école communale, mais non point à cause de l’instituteur communal personnellement, dont il reconnaissait la valeur.
Il a dit la prière : « des écoles sans Dieu et des maîtres sans foi » ; mais dans le village, on disait, faisant allusion aux écoles catholiques qui avaient dû fermer l’une après l’autre : « des écoles sans feu et des maîtres sans bois, préservez-nous Seigneur » ; on a cessé cette année, de dire cette prière.
Lorsque le curé, en novembre 1879, annonça l’ouverture de son école, après avoir qualifié les gens de Rogery de « têtes de mulets et d’entêtés » ; il a dit aux enfants : « Enfants de Rogery, si vos parents vous envoient à l’école communale, n’y allez pas ; s’ils veulent vous battre, laissez-vous battre, mais n’obéissez pas ». c’est en chaire qu’il a tenu ce langage, qui provoqua des murmures dans tout l’auditoire.
En entendant ces murmures, le curé a dit que c’était l’opinion de Mgr l’évêque de Namur, ajoutant que si quelqu’un voulait protester il pouvait le faire.
Alors un nommé SOLHEID s’est levé, et a dit tout haut : « Monsieur, pour une morale et une doctrine comme vous enseignez-là, nos enfants n’en n’ont pas besoin ! ».
Il avait déjà, à ce que l’on m’a rapporté, tenu semblable langage aux enfants à son catéchisme. Je demandai à mes élèves si c’était exact et ils m’ont répondu affirmativement. Il leur disait que si je voulais les faire prier à mon école, ils devaient « bruter », ce qui signifie murmurer, faire du bruit.
Pendant que l’on fêtait le cinquantenaire de la fondation de la Belgique, il a dit en chaire que la révolution de 1830 avait été un grand mal pour la Belgique, parce que beaucoup de personnes en avaient profité pour s’enrichir et que c’était pour cela que les parents faisaient donner de l’instruction à leurs enfants.
Il est resté aussi une fois ou deux sans chanter le « Te Deum » et encore maintenant, il ne dit plus la prière pour le Roi, à la fin des offices.
Un jour, je voulus me présenter au jubé, où j’avais l’habitude d’aller chanter ; les autres chantres étant rentrés, on refusa de m’ouvrir. J’en parlai au curé, qui me dit qu’il n’en savait rien, et que cela n’avait pas été fait, en tout cas, à cause de moi. Mais le dimanche suivant, le marguillier, par ordre du curé refusa encore de m’ouvrir.
Personne dans le village n’a attribué ce fait à une autre cause que celle que j’étais instituteur communal ».

3) GENGOUX, Jean-Henri, 75 ans, cultivateur à Commanster, déclara :
« Mon petit-fils était malade ; les médecins l’avaient condamné.
On fit appeler le curé ; mais avant de le confesser, il lui a fait promettre de ne plus fréquenter l’école adultes ; c’est un jeune homme de 17 ans.
Il a guéri et il a tenu sa promesse.
Il y a un mois et demi à peine que cela s’est passé.
Le curé a dit à ma fille que s’il était mort pendant cette maladie, ce n’eût pas été lui, mais le caporal de Beho (c’est-à-dire le garde-champêtre), qui l’eût enterré. […]
Le curé TOUBON, qui est maintenant à Mande-Saint-Etienne, était auparavant à Commanster. La conduite de ce prêtre a été telle que j’ai refusé de continuer à aller encore chanter à l’église.
Ce curé a été condamné, il y a 4 ans environ, pour faux en écritures, mais il a été gracié ».

4) LEMASSON, Barthélemy, 50 ans, cultivateur et conseiller communal à Commanster, déclara :
« Aux Pâques de 1880, je me suis présenté à confesse au curé de Bovigny.
J’avais terminé ma confession et il était prêt à m’absoudre, quand il me dit : « Vous prétendez ne pas en avoir contre la religion, et pourtant vous avez voté l’indemnité de 100 francs pour l’enseignement de la religion à l’école communale ? » Oui, ai-je répondu, je n’ai fait que remplir mon mandat. Mais il m’a refusé l’absolution, disant que je devais aller trouver le curé de ma paroisse, de Rogery. J’allai effectivement trouver ce curé, mais celui-ci me dit que j’étais plus coupable que le plus coupable des pères de famille de Commanster.
Cette année, cependant, j’ai pu faire mes pâques, après avoir expliqué que je ne pouais ne pas voter le poste de 100 francs au budget, qu’il y était dans tous les cas porté d’office.
Je dirai aussi que ce curé n’est pas venu, l’année dernière, le lundi de la kermesse, chanter la messe à Commanster ; j’ai été le trouver, et il m’a dit qu’il ne viendrait pas pour trois ou quatre bons qui se trouvaient dans le village, que ce n’était pas la peine ».


5) BENOIT, Paul-Joseph, 40 ans, cultivateur à Commanster, déclara :
« Ma sœur étant tombée malade, on fit appeler le curé, qui refusa de la confesser aussi longtemps qu’elle n’aurait pas promis de retirer son enfant de l’école communale, ce qu’elle refusa.
Elle retomba malade plus tard, et cette fois, elle promit ce que le curé exigeait d’elle ; alors elle reçut l’absolution.
Le curé me dit, à cette occasion, que l’école communale de Commanster était mauvaise et que l’instituteur communal était un mauvais instituteur.
Pourtant, je puis assurer que nous avons un excellent instituteur, qui donne un bon enseignement à nos enfants.
Ma sœur a exécuté sa promesse : son enfant n’a plus été à l’école depuis un an ; j’ajouterai que c’est aussi en vue de la première communion qu’on ne le laisse plus aller à l’école communale ».

6) SOLHEID, François-Paul, 60 ans, domicilié à Rogery, déclara :
« Le jour où la loi scolaire fut affichée, notre pasteur, après la messe, au pied de l’autel a dit : « J’ai vu tantôt ce placard, cette sale affiche. Sachez que le premier politique fut un démon, qui s’appelait Lucifer. Ce même démon, transformé en serpent, trompa par le mensonge Adam et Eve. Ainsi tous les libéraux sont des menteurs ; quand ils disent une vérité, c’est qu’ils se trompent ». Après cela, il dit que ce n’était pas aux pères ni mères, nu aux instituteurs à faire l’instruction du catéchisme aux enfants ; que c’était réservé aux évêques et aux curés. Puis, il prôna l’ignorance : « A quoi bon tant d’instruction ? » disait-il, « témoin Napoléon Ier avec une armée d’ignorants n’avait-il pas de bons soldats, et jamais aucun souverain eût-il autant de facilité à conduire son peuple ? C’est qu’ils étaient ignorants, que la France était restée des années sans instruction ? ».
Avant la loi, il faisait le catéchisme comme les prédécesseurs, le dimanche, après les vêpres, mais après la loi, le catéchisme fut supprimé complètement.
Il invita les gens du village à créer une école catholique, pour ne plus aller, disait-il, à l’école officielle, à l’école du diable, et pour préserver la foi et les mœurs.
Vers la fin de 1879, la rumeur publique disait qu’il allait y avoir à Rogery une école catholique. Il appela les enfants au catéchisme après messe. Mes enfants me dirent que le curé leur avait dit : « Retournez chez vous, et dans une demi-heure, je sonnerai la cloche, et vous viendrez ». Ils y retournèrent donc et là, seul avec eux, il leur dit : « M. DACO n’a pas besoin de vous instruire ; moi, je vous instruirai bien ; quand DACO prie, il faut bruter, barboter, pour le fâcher ; quand il fait le catéchisme, sauvez-vous, cachez-vous derrière les haies ; si vos parents ne veulent pas vous donner à manger, rassemblez-vous en bande et allez demander un morceau de pain aux portes ».
Le dimanche suivant, après un sermon des plus violents contre les écoles schismatiques, il annonça son école et dit qu’il y ferait le catéchisme, mais seulement pour les enfants qui fréquenteraient cette école, et qu’il n’y aurait plus de sacrements ni pour les parents qui enverraient leurs enfants à l’école communale, ni pour ces enfants eux-mêmes. « Je sais bien, qu’il y aura quelques récalcitrants parmi ces têtes de mulets ; mais si nous sommes d’abord en petit nombre, les faibles deviendront plus tard les forts » disait-il. Puis s’adressant aux enfants : « N’allez pas à l’école officielle, si vos parents même vous battent, laissez-les faire, vous les vaincrez ! A cette heure, s’il y a quelqu’un qui a une observation à faire, qu’il se lève ! ».
Moi, indigné, je me lève et lui dis : « Morale et doctrine comme vous en donnez à nos enfants, nous n’en avons pas besoin, nous n’avons nin mesâ ». Il me répondit : « Monsieur on connaît votre morale et je vais poser une question du catéchisme », mais il parla en latin et je n’ai pu comprendre sa question ; je n’ai jamais, moi, étudié le latin.
Par là, je m’étais attiré sa haine. Il criait dans l’église après mes enfants et après moi de manière qu’un jour je m’entendis appeler par mon nom. Je répondis : « Présent, Monsieur le curé, qu’y a-t-il à votre service ? ». « Vous devez vous taire » me répondit-il. « Vous m’avez interpellé ; qu’avez-vous à me dire ? » lui dis-je ; « Vous êtes un insolent ! » s’écria-t-il. « Pas plus effronté que vous ! » m’écriai-je à mon tour. C’était en plein sermon que cela se passait. Il me menaça finalement de me dénoncer au procureur du roi ; mais je ne sais sir le procureur du roi est mort, ou si plutôt sa plainte n’a pas été faite, car je n’ai plus entendu parler de rien.
Les Pâques de 1880 arrivent ; mon garçon, âgé de 14 ans, se présente au curé pour se confesser, disant qu’il devait le lundi suivant se rendre en Prusse ; mais il le repoussa. « Non, partez comme une bête » dit-il. Plus tard, mon fils se représenta encore au curé ; il lui dit que c’était moi qui l’avais forcé à se rendre à l’école communale. « Votre père est une bête, et vous ne ferez pas vos pâques, même dans dix ans » lui répondit-il.
En juin ou juillet 1880,le curé commença encore à demander de l’argent pour son école : « Pères et mères sont les démons de leurs enfants, en les obligeant à fréquenter l’école communale, et les parents qui mettent leurs enfants au loin et au large jusque chez les Allemands, n’ont pas besoin de se présenter au confessionnal, c’est chez eux qu’ils doivent tenir leurs enfants ; que ceux qui ne savent pas nourrir leurs enfants ne se marient pas », c’est à moi qu’il faisait allusion évidemment. J’ai oublié de dire tantôt que, quand le curé m’a menacé d’adresser une plainte au procureur du roi, je l’ai appelé « agent de discorde » ; et je lui ai répondu cela parce qu’il avait cherché, en parlant un jour à ma femme, de jeter le trouble dans notre ménage.
Dans un sermon sur le cinquième commandement, il a dit « que les orgueilleux, les gourmands, les lâches, les impudiques, les escrocs, les voleurs et les assassins se trouvaient parmi les libéraux ».
Dans notre commune, pour pouvoir faire ses devoirs religieux, il faut être hostile aux lois et au Gouvernement ; le confessionnal n’est plus qu’un bureau de conspiration, et la chaire de vérité une trompette de discorde et de révolte ».

7) PAULUS, Jean-François, 54 ans, cultivateur à Rogery, déclara :
« Le curé m’avait demandé de l’aider à avoir un instituteur catholique ; mais j’ai refusé, sur quoi il m’a traité d’apostat et de schismatique, de libéral, etc.
Et plus tard, il a refusé ma femme comme marraine, disant qu’elle n’en était pas digne parce que nous mettions nos enfants à l’école communale.
Le curé a dit tant de choses dans ses sermons, parlant toujours des écoles et de la politique, que l’on en aurait jusqu’au soir à raconter.
Le curé refuse de laisser faire la première communion à mes enfants qui ont 12 et 13 ans ».

8) JACOB, Catherine-Josèphe, épouse JEUNEJEAN, 46 ans, ménagère à Rogery, déclara :
« Après le loi de 1879, à la Toussaint, je me suis présentée à confesse. Le curé me demanda où je mettrais mes enfants ; je lui dis qu’ils iraient à l’école communale, qu’ils y avaient toujours été et qu’il n’y avait rien de changé. Il me dit alors que l’école était mauvaise, qu’il y avait de mauvais livres et notamment un livre d’histoire de Belgique, composé par GENONCEAUX, qui était un homme de mauvaise vie ; qu’il connaissait parfaitement cet homme-là.
Il disait aussi que l’instituteur était un schismatique qui s’était révolté contre son évêque, qu’il avait vendu son âme au diable pour une somme de cent francs et qu’il était le scandale du village.
J’avais deux filles qui avaient fait leurs pâques ; le curé me dit que je n’avais pas besoin de les envoyer encore à l’école ; mais moi je lui répondis que je voulais qu’elles fussent en état de faire une lettre quand elles en auraient besoin. Il ajouta : « Que voulez-vous que l’instituteur leur enseigne ? Il ne connaît rien lui-même ». Je lui demandais alors : « Qu’apprendront-elles donc à l’école catholique » ? « On leur enseignera la religion ». « La religion est bonne mais il faut encore autre chose ». « Ni la grammaire, ni l’arithmétique ne sont rien, il n’y a que la religion ». « Si vous n’aviez pas su la grammaire, Monsieur le curé, vous n’occuperiez pas la place que vous avez maintenant ». « Non, mais on ne peut pas tous être prêtres ». « On ne peut pas rester ignorant non plus ».
Sur ce, il me proposa de mettre mes filles à l’école communale, en leur disant de sortir quand on dirait la leçon de catéchisme, mais je devais envoyer mon petit garçon à l’école catholique. Il ajouta que si mon mari était de cet avis, je pourrais revenir et qu’il me donnerait l’absolution, et s’il ne voulait pas, que je devais savoir que j’avais droit à la moitié des enfants. Moi, je lui répondis que nous ne vivions pas en discorde pour partager ainsi nos enfants.
Je n’ai pas eu l’absolution. Mes enfants ont toujours fréquenté l’école communale, mais plus le catéchisme, parce que le curé le faisait trop tard pour qu’ils pussent arriver en classe à temps.
Ayant appris pourquoi ils n’allaient plus à son catéchisme, le curé dit à nos enfants que ce serait aussi à leur père à leur donner l’absolution.
À Pâques, ils se sont présentés à confesse, mais ils n’ont pas eu l’absolution.
J’ai été trouver le curé chez lui et lui ai demandé s’il leur ferait leurs pâques ? Il m’a répondu que quand ils fréquenteraient son catéchisme, il les leur ferait. Il me dit aussi que si même ils allaient chercher une absolution ailleurs, il leur refuserait publiquement la communion ; que tant qu’ils ne se révolteraient pas contre nous, je ne dirais pas qu’ils n’iraient plus à l’école communale, il ne les confesserait pas. Je lui dis que ce n’était pas ce que les commandements de Dieu ordonnaient. « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes » me dit-il, et il ajouta que mon mari et moi nous ne devions pas nous présenter. Je lui objectai que cependant, le matin, il avait donné la communion à deux personnes qui envoyaient leurs enfants à l’école communale. Il me répondit qu’il n’avait pas à me faire connaître ce qu’il avait décidé à leur égard ; que nous étions plus mauvais que ces personnes-là, parce que mon mari faisait partie du bureau de bienfaisance et que le bruit courait dans le village que les parents qui n’enverraient pas leurs enfants aux écoles communales, seraient privées des secours du bureau ; ce qui n’était pas vrai.
Il dit aussi que si nous venions à mourir dans l’état où nous nous trouvions, nous serions enterrés par le garde champêtre.
L’année dernière, il refusa aussi l’absolution à nos enfants en leur disant que leur père avait voté pour les libéraux. Mais pourtant, au mois de septembre, il les a confessés et leur a donné la communion ».

9) SEVERIN, Jean-Joseph, 58 ans, propriétaire et bourgmestre à Bovigny, déclara :
« Je suis membre du comité scolaire. Dans la commune de Bovigny, il y a quatre écoles officielles. Il y a eu également quatre écoles libres, mais deux sont tombées.
L’une d’elles était établie à Cierreux, dans la maison d’un nommé DELVAUX, l’autre dans la section de Rogery.
[…]
J’étais présent au sermon du curé de Rogery quand il a annoncé l’ouverture de son école, et je l’ai entendu dire aux enfants : « N’obéissez pas à vos parents et n’allez pas à l’école communale, laissez vous battre même ». Des murmures ont éclaté dans l’auditoire. C’est alors que SOLHEID a pris la parole pour dire au curé que l’on ne voulait pas de sa morale ni de sa doctrine.
Je défendis à ma fille d’aller encore au catéchisme du curé, parce qu’il le donnait à une heure où il dérangeait les heures de classe de l’école communale.
Un jour, il en parla à ma fille, qui lui dit que c’était moi qui le lui avais ordonné. « Que votre père vous confesse alors, il n’a du reste pas le droit de vous ordonner d’aller à l’école communale » dit-il.
[…] ».


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« Enquête scolaire », Bruxelles, Hayez, 1880-1883 publiés par la Chambre des Représentants.

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