vendredi 3 juin 2011

La fabrication des « sikeies »

Les pierres à faulx dites « sikeies » étaient extraites et façonnées dans le village de Rogery, depuis plus de 300 ans. Cette petite industrie n’a cessé complètement que depuis quelques années.

La pierre était extraite au moyen d’un pic (pioche) et d’une « hamaide » (levier), sans le secours d’aucun explosif. Les déblais étaient simplement enlevés à la pelle et accumulés à proximité de la fosse. Celle-ci n’était d’ailleurs jamais très profonde, eu égard aux instruments rudimentaires utilisés. Aussi les terrains exploités ressemblaient-ils à un paysage de guerre criblé de trous d’obus. Chaque affouager travaillait dans sa fosse, laquelle tait sa propriété, sauf s’il l’abandonnait pendant un an. Dans ce cas, quiconque pouvait s’en constituer le maître. Ces fosses se trouvent toutes sur « l’aisance communale ». Il y en a à St-Martin, à Grandfontaine (près de Beho), et à Henrichapelle (entre Rogery et Cierreux). Aucune redevance n’était due à la commune, « l’aisance » étant banale.

La fabrication des « sikeies » commençait chaque année après les derniers travaux agricoles et durait tout l’hiver. Les pierres étant arrachées de la fosse étaient transportées au moyen d’un tombereau, voire d’une brouette, par chaque exploitant, à son domicile. Il n’y avait donc ni rails, ni wagonnets. On fendait alors les blocs en lames de 1 ou 2 centimètres d’épaisseur, au moyen d’un marteau spécial à 2 pênes qui servait aussi à ébaucher la forme de la pierre à aiguiser la faulx. Celle-ci était ensuite polie sur une pierre de sable, qu’on se procurait à Salmchâteau. Un ouvrier pouvait finir une centaine de « sikeies » par jour. Il y a cinquante ans, la « sikeie » se payait, en gros, un sou pièce. Le prix en était de 12 à 15 sous, en 1920.

Cette pierre à aiguiser était très appréciée pour sa qualité, malgré son aspect fruste. La Flandre, la Hollande, l’Allemagne, la France consommaient toute la production (100 000 par an).

Avant l’existence des chemins de fer, les « commis-voyageurs-livreurs » en « sikeies » transportaient leur marchandise dans une charrette attelée d’un âne ou d’un chien, voire dans leur hotte. On a peine à se représenter ces braves gens circulant par monts et par vaux, ainsi lourdement chargés de pierres… Cependant, plusieurs fortunes aisées ont dû leur petite fortune actuelle au labeur de ces obscurs voyageurs, leurs ancêtres.

Il est vrai de dire, par contre, que d’autres réussissaient à faire de très belles affaires. Il nous souvient d’avoir parcouru les pièces pour affaire judiciaire qui fut jugée à Amsterdam, il y a quelque cent ans. Un certain habitant du village de Honvelez avait réalisé tout son bien pour aller défendre sa cause lui-même et se faire payer une créance de plusieurs centaines de florins. Il n’obtint rien du tout et revint, pauvre comme Job, au pays natal.

Pourquoi l’industrie a-t-elle périclité et finalement disparu ? À cause de la concurrence des pierres d’Italie et de Suède. Nos gens se laissèrent devancer dans la modernisation de l’outillage. Le dernier fabricant de pierres à faulx de Rogery me confiait qu’il regrettait encore d’avoir cessé le travail. N’était son âge déjà avancé, il se remettrait, dit-il, au travail avec des moyens d’action up to date.

Je me suis persuadé, avec lui, que si des exploitants étaient pourvus de machines pour l’extraction de la pierre, la façon et le polissage des « sikeies », si celles-ci étaient présentées dans un emballage flatteur par des commerçants avisés, il y aurait encore de beaux jours pour cette industrie très intéressante.

ROUVA

(Avenir du Luxembourg, 9 décembre 1934)



Ndlr :

Le dernier fabricant fut Jean-Joseph JACQUET, né à Rogery le 1er octobre 1841, fils de Jean-Paul JACQUET et de Marie-Barbe RUTH, employé aux chemins de fer, décoré de la Médaille Civique de 2e classe et de la médaille commémorative du règne de Léopold II, qui meurt à Rogery le 14 avril 1925, âgé de 83 ans.
Selon le témoignage de Mr. MINET, il avait vendu à Joseph MINET, de Sart-Lierneux, 2 000 pierres à faulx, à 15 frs. le cent, que MINET revendit à 22 frs. le cent, emballage compris, en Hollande, pour remplacer les « éclats » de Norvège. (note de G. REMACLE)

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